Culture

So Long, My Son : enfant unique mais florilège d'émotions

Oct 2, 2022
Claire Zeng

Ce magnifique film de trois heures nous plonge dans la Chine contemporaine du début des années 1980 jusqu’aux années 2010, à travers un drame familial et politique. Récompensé à la Berlinale de 2019, il est en accès libre sur Arte jusqu’au 18 octobre, et on vous explique pourquoi il faut absolument voir cette pépite. (Attention, on vous spoile dans cet article).

Au début des années 1980, Liyun et Yaojun forment une famille ouvrière unie aux côtés de leur fils Xingxing, ainsi que de leurs amis Yingming et Haiyan qui ont également un garçon du même âge, Haohao. Le pays vient d’instaurer la politique de l’enfant unique. Seulement, dès l’ouverture du film, on comprend que Xingxing s’est noyé au barrage alors qu’il jouait avec Haohao… Le film va alors suivre le deuil sinueux et impossible des parents pendant près de trente ans, imbriquant le drame intime à la question politique.

Liyun, Xingxing et Yaojun. (Copyright : Ad Vitam).

"Le temps est déjà passé... Il ne nous reste plus qu'à attendre de vieillir."

Wang Xiaoshuai refuse une linéarité chronologique au profit de séquences temporelles entrecoupées, nous forçant à rester attentifs pendant les trois heures du film et à reconstituer toute la mosaïque d’événements et de relations entre les personnages. Ainsi, au tout début du film, en entendant le nom Xingxing, on pense naïvement que le petit garçon a été sauvé de la noyade, mais c’est au détour d’une conversation entre Liyun et Yaojun qu’on comprend que le jeune adolescent est adopté. Le film nous pousse ainsi à faire attention aux moindres détails, à la moindre parole prononcée à chaque scène.
Au fur et à mesure, toutes les séquences s’imbriquent pour recomposer le puzzle : après la naissance de Xingxing, Liyun tombe enceinte d’un deuxième enfant et souhaite le garder, mais Haiyan qui est directrice du planning familial la pousse à avorter de force. L’opération tourne mal et Liyun se retrouve stérile. Un jour, Haohao pousse Xingxing à nager au barrage, malgré les refus de ce dernier, qui se noie accidentellement. Liyun et Yaojun, ne pouvant plus enfanter, adoptent un autre enfant et déménagent dans la région du Fujian, au Sud, sauf que l’enfant adopté se sent mal dans sa peau en grandissant et fait une fugue. Haiyan se retrouve rongée par la culpabilité.
Dans cette cascade d’événements, aucun manichéisme, aucun coupable et aucun méchant : on comprend la douleur des parents, mais on sait également qu’Haiyan n’a fait qu’effectuer son travail, et que Haohao n’était qu’un enfant ne réalisant pas les conséquences de ses actes. On comprend également la détresse du Xingxing adopté, qui pense endosser le rôle du remplaçant et qui ressent la présence de l’enfant-fantôme.    

En trois heures et trente années, c’est donc un torrent d’émotions et de moments intenses que nous offre cette fresque familiale : la culpabilité, le deuil et la filiation se croisent sans cesse, marquant les visages des personnages que notre regard ne quitte pas. Car c’est finalement le temps qui passe qui constitue le véritable sujet du film, une temporalité parfois cyclique puisque c’est la mort de Xingxing qui scinde la famille au début et que c’est la mort de Haiyan qui les réunit à la fin, et que la naissance de l’enfant de Haohao coïncide avec le retour du Xingxing adopté. 

Liyun, jouée par Yong Mei, dévoile des expressions faciales particulièrement expressives et touchantes. (Copyright : Ad Vitam).

Drame intime, drame politique

Pas de pathos, pas de violence, pas de dialogues grandiloquents mais des silences ; silence pour signifier la douleur du couple ou encore la culpabilité de Haohao. Silence exigé aussi sur l’écriteau de l’hôpital, ou demandé de force par le représentant du gouvernement qui licencie. L’omniprésence du silence signale également tous les tabous et les non-dits au sujet des avortements et des enfants illégitimes qui traversent les familles chinoises. Car la figure de l’enfant hante tout le film : l’enfant noyé, l’enfant illégitime de Yaojun, l’enfant adopté, l’enfant avorté… Le film nous révèle ainsi les conséquences concrètes des restrictions gouvernementales au sein de chaque famille chinoise. Certaines scènes évoquent également le début du libéralisme économique par des licenciements à l’usine, ou encore le culte de la personnalité et les séquelles de la Révolution culturelle.

En brassant les quarante dernières années du pays, Wang Xiaoshuai ravive également toute une nostalgie du passé, portant une attention particulière aux objets : la caméra fixe longuement le grand thermos posé sur la table de la cuisine, les raviolis dévorés pendant la pause déjeuner ou encore les tags publicitaires écrits sur les murs des immeubles. La dernière partie du film révèle toute l’urbanisation des anciennes campagnes. 

Yaojun et Liyun pendant la pause déjeuner, mangeant des raviolis faits maison. (Copyright : Ad Vitam).

Ce qui fait la réussite et la justesse du film, ce sont les mouvements de caméra et la photographie particulièrement maîtrisés : les scènes les plus dramatiques sont ainsi filmées au loin ou de biais, comme la scène de la noyade ou de la réprimande de Haohao par Haiyan, filmée dans le noir à travers la porte. Le cinéaste filme également à plusieurs reprises les repas en famille, moments précieux et importants dans la culture chinoise. Certaines scènes sont remarquables et inoubliables, on pense notamment à la scène de bal qui réunit tout le cercle familial et qui constitue le seul moment de bonheur avant la tempête.

Échelle intime et universelle, nationale et politique, temporelle mais aussi géographique : So long, My son, c’est tout ça à la fois, ça fait pleurer, ça touche en plein cœur, et ça ne s’oublie pas.

Lire nos autres articles