Diaspora

Teochews - Chinois de Chaozhou

May 4, 2024
AJCF

Depuis leur terre d'origine dans la région de Chaoshan jusqu'à leur présence en France, découvrez l’histoire migratoire et l’héritage culturel des Teochews, l’une des plus importantes communautés chinoises de France.

Source: https://www.worldscientific.com/doi/pdf/10.1142/9789813239364_0001
Source : https://www.thatsmags.com/guangzhou/post/11319/a-shout-out-to-the-gaginan-teochew-people-and-their-culture

L’origine des Teochews

Les Teochews sont un groupe ethnique chinois originaire de la région de Chaoshan (潮山), à l'est de la province du Guangdong en Chine. Autrefois, ce territoire était la préfecture de Teochew, autrement dit Cháozhōu (潮州) en mandarin.  Il convient de noter que la préfecture est une division administrative du territoire, à distinguer de la ville actuelle de Chaozhou, qui faisait partie de ladite préfecture. Les Teochews parlent leur dialecte, qui fait partie de la famille des langues chinoises Min ou Mǐnyǔ (闽语) en mandarin. Ces langues sont principalement parlées dans la province du Fujian, dans les provinces voisines, ainsi qu'à Taiwan. Le terme Teochew est donc le dérivé d’un nom de territoire, de la ville et d’un dialecte éponyme [1]. Il désigne un groupe de personnes aux origines et aux cultures communes, provenant d’une même région, et parlant une même langue.

L’histoire migratoire des Teochews

Les Teochews ont une histoire migratoire riche et complexe. Les traces d’émigration remontent à des milliers d’années, et divers facteurs y ont contribué : 

  • une situation géographique près du littorale, qui a favorisé le développement des ports et les échanges commerciaux avec d’autres pays (lieu de départ de la route de la soie en Antiquité)
  • une surpopulation avec néanmoins une surface agricole limitée
  • des catastrophes naturelles, notamment des inondations, typhons en été
  • des problèmes politiques : fuite du régime communiste de Mao Zedong [2]

Dès le XVIIIe siècle et jusqu'au XXe siècle, les Teochews ont entrepris d'importantes migrations vers les pays d'Asie du Sud-Est, exportant par la même occasion leur langue et leur culture. Cette diaspora a notamment établi des communautés florissantes en Thaïlande et au Cambodge. Avant les années 1970, environ 425 000 Chinois résidaient au Cambodge, dont 80% étaient originaires de Teochew. Les Teochews se livraient, entre autres, au commerce du thé, du poisson séché, à l'importation d'herbes médicinales et au commerce international. Aujourd'hui encore, le teochew est la langue chinoise la plus parlée dans ces deux pays [3].

Plusieurs événements historiques expliquent cette migration vers l'Asie du Sud-Est. Après la première guerre de l’Opium (1839-1842), les Teochews ont recherché de meilleures opportunités commerciales dans la région [4]. Pendant la période d'instabilité politique en Chine entre 1940 et 1949, marquée par la guerre entre les communistes et le gouvernement de Tchang Kaï-chek (Jiang Jieshi 蔣介石), de nombreux Teochews ont également émigré vers l'Asie du Sud-Est.

Plus tard, le mouvement communiste des Khmers Rouges au Cambodge de 1975 à 1979 a entraîné une migration massive des Teochews, contraints de fuir le régime collectiviste et répressif. Les Khmers Rouges ont instauré un régime extrêmement répressif, abolissant la monnaie, la religion, l'éducation et la propriété privée, et forçant la population urbaine à travailler dans les campagnes où le travail forcé, la famine et la maladie étaient monnaie courante. Les survivants de ce génocide ont été considérés comme des réfugiés politiques, cherchant refuge dans d'autres pays, notamment en France.

La culture teochew

Même s'ils partagent leur région avec les Cantonais et les Hakkas, les Teochews ont préservé leur propre langue et leur propre culture. De nombreuses traditions anciennes sont encore observées aujourd'hui dans le Guangdong, notamment dans les régions moins développées telles que la région de Chaoshan [4].

Culte des ancêtres
Le culte des ancêtres revêt une grande importance dans la société teochew, où l'on croit que les défunts peuvent protéger contre le danger et le malheur, tout en apportant des bénédictions et des richesses s'ils sont correctement honorés. Sous la direction des anciens du clan, les descendants rendent hommage aux défunts lors de cérémonies ancestrales tout au long de l'année, notamment pendant le festival de Qingming. Ces cérémonies peuvent varier en taille, allant des modestes offrandes domestiques aux grandes festivités impliquant toute la lignée et incluant des animaux rôtis, du riz et du thé en abondance. Malgré la répression de ces traditions après l'avènement de la République populaire de Chine, elles ont été préservées en Asie du Sud-Est, comme en Thaïlande, où le clan Lin organise une cérémonie annuelle rassemblant plus de 3 000 personnes trois jours avant le solstice d'hiver  (冬至) [5].

Musique
Depuis la dynastie Song (960-1279), la musique traditionnelle teochew s'est développée, distincte des autres traditions régionales chinoises, avec une sensibilité folklorique caractérisée par une variation mélodique intense. Elle se décline en sept principaux genres :

潮州弦诗乐 - 浪淘沙 Waves Washing the Sand

La Musique Xianshi (弦詩樂) - musique d'ensemble à cordes, issue des mélodies de poèmes récités à l'apogée de la culture littéraire chinoise de la période Song.

La Musique Xiyue (细樂) - une autre forme de musique d'ensemble à cordes, interprétée par un petit ensemble avec des instruments tels que le luth pipa, la cithare zheng, et le sanxian.

La Musique de cithare Solo zheng (古箏樂) - l'une des principales écoles de musique de cithare du sud de la Chine.

La Musique de flûte (笛套古樂) - principalement jouée dans la région de Teoyor, avec des origines remontant à la fin de l'ère Song.

La Musique Waijiang (外江音樂) - une musique instrumentale influencée par les Hakka à la fin de la dynastie Qing, brièvement populaire auprès des classes moyennes et supérieures Teochews.

La Musique de temple (廟堂音樂) - une musique instrumentale accompagnant les rites bouddhistes et les cérémonies.

Les Gongs et tambours (鑼鼓樂) - interprétés lors de festivités folkloriques en plein air et d'occasions religieuses.

Ces genres sont unifiés par des répertoires et des structures mélodiques similaires, bien que variés, et la Musique Xianshi est considérée comme la plus influente, servant de base aux autres genres. Elle est souvent interprétée par un ensemble d'instruments à cordes pincées ou frottées [6].

OpéraL'opéra teochew a des origines obscures, mais il semble avoir évolué à partir du Nanxi (南戲), un spectacle du XIIe siècle originaire de la région de Wenzhou (温州), dans le sud-est de la Chine, qui combinent mime, chant et danse. Bien qu'il ait été réprimé par les fonctionnaires de la noblesse Ming pour son caractère jugé vulgaire (utilisation du langage vernaculaire du village sur scène) et ses comportements obscènes, il a survécu grâce au mécénat de riches marchands. L'émergence d'un répertoire basé sur des histoires locales de romance et d'humour, comme “Le miroir et le litchi” 《荔镜记》 (mieux connu sous le nom de Tan Sa Ngou Nie 《陳三五娘》), a consolidé sa popularité auprès du peuple teochew. À la fin de la dynastie Qing, la région de Teochew comptait plus de 200 troupes actives [7].

Danses
Pendant les dynasties Ming (1368–1644) et Qing (1644-1911), la société teochew était principalement agraire, ce qui entraînait souvent des conflits violents liés à la terre et à l'eau en raison de la corruption et du manque de réglementation. Les familles se regroupaient en clans pour protéger leurs terres, marquant leurs territoires lors de processions bruyantes au Nouvel An lunaire. Certaines communautés organisaient des danses en plein air pour manifester leur force. Bien que réprimées pendant la Révolution Culturelle, ces traditions connaissent aujourd'hui un renouveau, notamment chez les jeunes.

Comme dans d'autres régions de Chine, le dragon est considéré comme hautement auspicieux par les Teochews, et diverses variantes de la danse du dragon existent, telles que le "dragon de feu" ou le "dragon en tissu". Cependant, ces danses sont souvent limitées à des localités spécifiques, à l'exception de l'Eng Go Bhu (英歌舞), qui est populaire dans plusieurs comtés et districts, interprétée en ensembles de 16, 36, 72 ou 108 danseurs. Cette danse, avec ses mouvements coordonnés et son symbolisme historique tiré du roman Water Margin (水滸傳), est un spectacle captivant où les danseurs, vêtus et maquillés selon les 108 renégats héroïques, incarnent des personnages emblématiques de la culture teochew et Fujian [8].

Thé

Bien que la région de Teochew soit moins connue pour sa production de thé, ses habitants sont réputés pour consommer plus de thé par habitant que partout ailleurs en Chine. En 2006, les habitants de Swatow dépensaient 720 millions de yuans par an en thé, tandis qu'un ménage typique consommait plus d'un kilo de feuilles de thé chaque mois. La perception teochew du thé comme aliment de base se reflète dans leur langue, où les feuilles de thé sont appelées "te-bi" (茶米) et le thé est décrit non comme étant bu, mais comme l’activité de “manger ziah-te" (食茶) [9]. 

Par ailleurs, le style traditionnel de cérémonie du thé, connu sous le nom de thé Gongfu, a ses origines à Chaoshan et est devenu une part essentielle de la culture du thé des Teochews. Bien que cette méthode puisse être utilisée pour préparer n'importe quel type de thé, les Teochews préfèrent souvent l'oolong Tieguanyin (铁观音), également appelé "Bouddha de fer". Ils ont l'habitude de savourer une tasse de thé avant et après chaque repas, et aucun foyer teochew ne serait complet sans un service à thé traditionnel. De plus, boire du thé doux-amer comme le Tieguanyin après un repas est considéré comme un rafraîchissement du palais par les Teochews, en raison de l'utilisation fréquente de saindoux de porc dans leur cuisine [4].

Sources

[1] Origin. (2018). An Introduction to the Culture and History of the Teochews in Singapore, 14–25.

[2] Live, Y. (1995). Les Chinois de Paris : groupes, quartiers et réseaux. In Marès, A., & Milza, P. (Eds.), Le Paris des étrangers depuis 1945. Éditions de la Sorbonne.

[3] Wikimedia Foundation. (2023, January 9). Teochew (dialecte). Wikipedia.

[4] Teochew people: China & Asia Cultural Travel. China & Asia Cultural Travel | TanSuo Cultural Travel Solution Ltd. (2020, January 23).

[5] Zhang, T. (2015, October 13). A shout-out to the Gaginan: Teochew people and their culture. That’s.

[6] A Brief Introduction to Tradition Teochew Music. The Teochew Store 潮舖. (2017, April 10).

[7] Making Sense of Teochew Opera - origin, history & performance 160 years ago. The Teochew Store 潮舖. (2016a, February 27).

[8] So You Think Teochews Can’t Dance? The Teochew Store 潮舖. (2018, March 20).

[9] The Teochews & Our Elixir of Life. The Teochew Store 潮舖. (2016, May 13).

Lire nos autres articles